Le Bal Tamoul

Une exposition à découvrir au Musée Stella Matutina

du 16 septembre 2023 au 21 avril 2024

Horaires : Du mardi au dimanche de 09h30 à 17h30.

Tarifs : Visite incluse dans le prix d’entrée du musée
Plein tarif : 9€ / Tarif réduit : 6€ / gratuit pour les moins de 4 ans

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Le Bal tamoul, un savoir-faire réunionnais venu de l’Inde

Le Bal tamoul ou Bal malbar ou encore Bal zindyin ou Narlgon, désigne le Narlgon-Nardégom, un théâtre populaire au répertoire principalement inspiré du Mahâbhârata et du Ramayana. Le Bal tamoul est une pratique culturelle réunionnaise dont les racines sont ancrées dans le monde rural du sud de l’Inde. Il est chanté, dansé, mimé, ritualisé, interactif, avec une esthétique singulière constituée de Zano (accessoires). Il est dirigé par un homme-orchestre, le Vartial.

Après l’abolition de l’esclavage en 1848, afin de disposer d’une nouvelle main-d’œuvre pour les exploitations sucrières, le recrutement d’engagés est intensifié. Les Indiens du Tamil Nadu constituent la majorité de ces nouveaux travailleurs. Ils sont libres, sous contrat et, par dispositions réglementaires, peuvent pratiquer leurs cultes et cultures. Ils mettront en commun leurs savoir-faire, et ainsi introduiront ce qui deviendra le Bal tamoul.

Au fil du temps, beaucoup d’associations, de troupes et de Vartial ont disparu.  Aujourd’hui, il reste deux associations et quelques particuliers en activité régulière. Il y a une menace réelle sur la transmission. Depuis fin 2022, à la demande de la Région Réunion, le Bal tamoul a été inclus par le ministère de la culture dans l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Cette reconnaissance externe a relancé la dynamique et permis un nouveau regard sur la pratique.

Dans le cadre du 40e anniversaire des Journées européennes du patrimoine dont l’un des thèmes en 2023 est justement le patrimoine culturel immatériel, le Musée de Stella Matutina et le Service régional de l’inventaire de la Région Réunion se sont associés dans les recherches sur le Bal tamoul et leur valorisation par une exposition et une programmation culturelle sur sa durée.

Représentation Bal Tamoul Association Tirouvalouvar ©Antonio Prianon / RMR

Le patrimoine culturel immatériel à La Réunion

Depuis 2003, l’UNESCO a élargi la notion de patrimoine culturel à celle du patrimoine culturel immatériel (PCI). Le PCI concerne les expressions vivantes héritées de nos aïeux et transmises de génération en génération, comme les traditions orales, musicales ou chorégraphiques, la langue créole en tant que support de ces traditions, les jeux et sports traditionnels, les pratiques sociales, les rituels et événements festifs, les savoir-faire artisanaux, les connaissances et pratiques techniques concernant la nature et l’univers, les croyances, les façons de vivre, d’habiter et de manger, les lieux de mémoire…

Le PCI de La Réunion présente la singularité de posséder un patrimoine culturel immatériel d’une grande richesse et diversité ancré sur un micro-territoire unique au monde, créations culturelles vivantes qui se transmettent, se réinterprètent et se vivent collectivement. En 2023, sept éléments bénéficient du label national PCI, reconnu par le Ministère de la culture : le maloya, le rakontaz zistoir, le tressage du vacoa, la pratique des plantes médicinales, le séga, le Bal tamoul et le rod lo gèp. Malgré sa vitalité, le PCI de La Réunion reste fragile. Inventorier scientifiquement pratiques et les praticiens est une nécessité pour faire perdurer l’immatérialité. La partager auprès de la société réunionnaise est une promesse de sa survivance pour les générations futures.

Représentation d’un Bal Tamoul dans l’Est ©Antonio Prianon / RMR

Des campagnes du Sud de l’Inde aux campagnes de La Réunion

Un nombre important d’engagés venus d’Inde sont originaires du pays tamoul, où existent plusieurs formes théâtrales populaires en milieu rural. Des textes et témoignages historiques attestent de représentations artistiques de la part d’engagés indiens sur les pontons des bateaux les amenant vers les îles de l’océan Indien ou encore au Lazaret de la Grande Chaloupe à La Réunion. En 1883, le médecin du lazaret témoigne, en écrivant à propos du Bal tamoul, qu’il s’agit d’une « bonne comédie en cinq actes, en grande partie mimés avec chœurs, danses, chants et dialogues. Tous les genres s’y trouvaient » (Auguste Vinson).

Durant la seconde moitié du XIXe siècle et au XXe siècle, dans les camps des propriétés sucrières réunionnaises, comme à Stella Matutina, le Bal Tamoul se joue dans les espaces sacrés (koylou), chez les particuliers en lien avec la vie religieuse ou privée des engagés d’origine indienne. Les pénitents ne pouvant ni rentrer chez eux (pas de transport) ni dormir sur place (des maisons trop petites), le Bal tamoul devient la manière de les garder et tenir éveillés. Le spectacle se déroule du crépuscule pour se terminer aux aurores.

Au fil du temps, le Bal tamoul a évolué vers les temples, surtout à l’occasion de cérémonies telles que la marche sur le feu, le Dipavali ou le Jour de l’an tamoul. Le Bal tamoul de l’association Sapèl la mizèr à Saint-Gilles-les-Hauts se joue également à l’occasion du 20 désanm pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage, et parfois s’associe à des groupes de Maloya et de Séga (St-Benoît, St-Gilles-les hauts, Le Tampon). De nos jours, le Bal tamoul s’étend vers l’espace public, devient spectacle, des changements s’opèrent, renforçant sa fonction théâtrale et d’amusement. Les représentations sont moins longues, les troupes choisissent aujourd’hui de jouer que des extraits de bals.

Les enjeux des pièces qui sont jouées sont multiples : faisant référence à la vie des dieux du panthéon indien, les thèmes ne sont pas exclusivement sacrés et comportent de nombreuses scènes profanes. Le Bal tamoul doit instruire et dénoncer ; c’est une farce sociale comportant une part d’absurdité remplie de guerriers intrépides, de bergères séduisantes, de vieillards sages ou abusés.

Le Vartial, homme-orchestre

Toutes les représentations sont dirigées par un homme : le Vartial. Chef d’orchestre et de chorale, chef habilleur, metteur en scène, récitant principal, grand connaisseur des histoires, c’est lui qui est responsable du spectacle, de son rythme. C’est lui seul qui raconte l’histoire en la chantant.

Les Vartials possèdent, des manuscrits, des ouvrages hérités de leurs maîtres ou acquis par eux, qui contiennent les histoires jouées dans les bals.

Le Vartial raconte les histoires des personnages mythiques et épiques indiens, résume les scènes et interpelle le public, le plus souvent, aujourd’hui, en créole réunionnais. On assiste à une évolution par la création d’un langage mêlant tamoul, créole et parfois les autres langues indiennes du peuple. C’est une pratique vivante qui s’adapte pour permettre au public de suivre.

Le Vartial est accompagné d’une vingtaine de personnes : musiciens, chœurs, danseurs, comédiens, assistant … Les comédiens arrivent sur scène selon un protocole et un séquencement qui donne à la pratique une véritable structure, un scénario qui se répète pour des histoires qui sont différentes.

Une introduction immuable, des histoires multiples

Les Bals tamouls joués dans l’île commencent systématiquement par trois scènes :

  • L’arrivée de Vinaryégel (Ganesh) ;
  • L’hommage à Ganesh par les kulkols (deux prêtres hindous) ;
  • L’apparition de Kattiékarlin, l’homme au couteau, garde et messager du roi qui annonce au public quel répertoire est interprété.

Après ces trois scènes et selon le choix du Vartial, une histoire commence mêlant roi, reine, serviteurs, chasseurs ou sages selon la pièce qui est jouée et selon l’état d’avancement dans le déroulement du récit. Les chants et les rythmes diffèrent en fonction des scènes.

Le spectacle se termine par le mangalon, rite servant à clôturer le Bal tamoul. Tous les interprètes chantent: «Mangalon! Mangalon!», adressant ainsi des vœux de bonheur et de prospérité à la salle. Le Vartial, les musiciens et les chœurs se lèvent et renversent leurs sièges sur lesquels ils sont restés assis durant plusieurs heures. Le Vartial adresse une petite prière aux divinités pour neutraliser les éventuels effets négatifs des regards. Cela permet à la troupe de quitter le jeu et de revenir dans la réalité.